Après avoir cédé depuis plus d'un an à Apple le soin de proposer du téléchargement de musique à ses clients, la Fnac a cédé aux sirènes de la mode en lançant il y a quelques semaines son « Jukebox », une offre de streaming audio par abonnement.

Depuis que j'opère une veille du marché de la musique dématérialisée, force est de constater que très peu de sites de téléchargement à la carte ont vu le jour alors que les services d'écoute en streaming n'ont cessé de se succéder les unes aux autres et d'attirer à eux des centaines de millions de dollars de capitaux.

Le streaming : beaucoup d'appelés, un seul élu ?

Si les offres mal calibrées (comme Allomusic) ou uniquement basées sur des smartradios (Jiwa, YaSound, Mioozic...) ont finalement mordu la poussière, celles basées sur l'abonnement avec parfois une touche de freemium fleurissent toujours sur le Web et nos périphériques nomades.

Non que le modèle soit bon pour les distributeurs ou les artistes, mais face à la contraction des chiffres du download et à l'absence totale de perspective de ce marché qui aura vite trouvé ses limites, chacun espère que l'écoute musicale par abonnement devienne la norme de demain auprès du plus grand nombre.

A tel point d'ailleurs que le patron de Deezer, Axel Dauchez verrait bien 10 millions d'abonnés en France sur le seul marché de l'abonnement ! Pascal Nègre va même plus loin :

Si l’on extrapole l’expérience de pays plus avancés que la France en ce domaine, on peut espérer avoir un jour 13 millions d’abonnés à une offre musicale dans notre pays. Avec un tel chiffre la crise est finie. (Pascal Nègre, cité dans Challenges.fr)

C'est donc sur sur secteur très encombré qui porte les derniers espoirs de la filière, bien qu'il peine à démontrer sa rentabilité et son universalité, que « l'agitateur culturel » a annoncé le lancement de son offre Fnac Jukebox et son retour au sein du marché de la musique dématérialisée.

Les réactions des deux leaders français que sont Spotify et Deezer seront à surveiller de près...

Le Jukebox façon Fnac

Cette nouvelle offre appelée Jukebox (voir une présentation synthétique des formules d'abonnement) reprend les canons du modèle imposé par la filière du disque : une écoute sur le Web facturée 4,99 € par mois et son pendant nomade (smartphones, tablettes) vendu 9,99 € par mois, hors dépassement de vos quotas data sur mobile.

Bandeau explicatif de l'offre Fnac Jukebox, tous droits réservés

Le tout sans engagement et avec une petite période d'essai de 15 jours (contre 6 mois chez Rdio ou encore 1 mois chez Qobuz, par exemple) mais surtout sans aucune possibilité d'utiliser gratuitement le service, nouveau cheval de bataille chez Deezer et Spotify.

L'absence de gratuité a été perçu par de nombreux sites d'information comme une réaction à l'annonce faite par Spotify de « libérer » l'écoute sur mobile, en réalité donner accès à des radios thématiques financées par des spots publicitaires.

Des conseils avisés de professionnels et de vos amis.

En dehors des sempiternelles recommandations faites par les disquaires devenus sur FnacJukebox.com des « éclaireurs » (après avoir licencié 180 disquaires l'année dernière sur un total de 800 postes), la seule véritable nouveauté de cette offre réside dans l'abonnement low-cost à 2 euros par mois.

Jukebox 200, où l'abonnement à 2 €/mois

Attendu chez Deezer, c'est finalement la Fnac qui innove en ce début d'année 2014 et casse le modèle du « 5/10 € » scrupuleusement appliqué jusqu'ici.

Sans doute une première mondiale, cette offre permet d'accéder au streaming sur ordinateur voire sur mobile à moindre coût. La Fnac fait ainsi du pied à tous les utilisateurs de Spotify ou Deezer qui se contentaient jusqu'ici de l'offre « gratuite », bien que leur catalogue respectif soit bien plus riche que celui du Jukebox.

Des millions de titres en écoute illimitée.

Cet abonnement sans engagement à deux euros par mois supprime ainsi la publicité du modèle freemium proposé par la concurrence et permet de sélectionner jusqu'à 200 morceaux différents au sein de votre Jukebox tous les mois.

Grille tarifaire de FnacJukebox, tous droits réservés

La règle est simple : si vous écoutez un morceau plus de 30 secondes, il sera automatiquement retranché de votre quota de 200 morceaux pendant la durée de votre abonnement courant.

Vous pourrez bien entendu ajouter manuellement titres, albums et même playlists toujours dans la limite des 200 titres.

A vous ensuite de gérer cette liste afin de supprimer d'anciens titres pour faire un peu de place à de nouveaux morceaux avant le mois anniversaire de votre abonnement, sous peine de devoir attendre un mois de plus avant de pouvoir écouter toute nouvelle musique.

Mais dans ce cas, il vous restera les quelques radios thématiques qui sont intégrées à toutes les offres, très classiquement accessibles par artiste ou par genre.

Pas de synergie en magasin ni avec les adhérents Fnac

Outre de la publicité pour le Jukebox de la Fnac que l'on peut trouver en magasins, seuls des coffrets cadeaux seront disponibles afin de créer un pont entre consommateurs habitués à la musique « matérialisée » et le streaming, formule d'avenir, puisqu'on vous le dit.

Capture d'écran de la présentation de l'offre Fnac Jukebox

Vous pourrez cependant disposer de versions numériques appelées DigiCopy gratuitement sur votre Jukebox (et a priori hors quota mais je n'en ai pas trouvé de preuve écrite sur le site) à la manière d'un Amazon.

Quid des adhérents Fnac ? Et bien ils n'auront droit qu' un prolongement de 15 jours de leur période d'essai, ramenée ainsi à 1 mois. Ils peuvent déjà bénéficier de l'offre DigiCopy pour les CD audio achetés en boutique, qui ne sont accessibles via ce programme que pour les achats effectués sur Fnac.com.

Mais aucune réduction n'est proposée ni même cumul de points de fidélité. Du côté vendeur, j'ai pu constater qu'ils n'avaient pas été formés ni même prévenus de l'arrivée de cette nouvelle offre alors qu'elle est proposée en magasin.

Une offre assise entre deux chaises

Comment se différencier de la concurrence et des offres classiques qui au final se ressemblent toutes ? Faut-il pour cela attaquer le marché de masse en réussissant le tour de force de transformer en abonnés à 2 € les auditeurs habitués à la gratuité de Deezer' ? Ou bien viser le haut de gamme et les alliances avec les fabricants de HiFi comme Qobuz s'y essaye depuis plusieurs années ?

La Fnac aura répondu à cette question en se positionnant face à la concurrence avec un forfait jugé abordable et suffisamment pourvu grâce à ses 200 morceaux renouvelables tous les mois.

Cependant, l'offre pêche par plusieurs aspects.

D'abord, un catalogue très pauvre en albums : aucun chiffre n'a été avancé, si ce n'est ces « millions de titres » disponibles. L'utilisateur se rendra rapidement compte du manque de profondeur de l'offre de la Fnac, ce qui était d'ailleurs déjà le cas avec le téléchargement à l'acte bien avant qu'il ne bascule chez le concurrent iTunes Store.

Capture d'écran du spot publicitaire TV de Fnac Jukebox

Ensuite, bien que l'effet d'un abonnement démarrant à 2 € aura sans doute un impact sur le consommateur, celui-ci devra débourser 7 € afin de bénéficier de la mobilité. L'offre entre donc frontalement en compétition avec la gratuité (relative certes) d'un Deezer et ses 10 heures d'écoutes mensuelles, sans parler des smartradios mobiles disponibles gratuitement toujours chez Deezer ou Spotify.

Enfin, on peut se demander quel est l'intérêt de la Fnac de s'embarquer une nouvelle fois dans la distribution de musique dématerialisée et en particulier le streaming, secteur particulièrement mouvant, alors qu'elle a depuis longtemps amorcé son retrait progressif du marché du CD audio.

L'enseigne qui se mue de plus en plus rapidement en magasins d'électroménager, de matériels informatiques et audiovisuels, va-t-il se donner le temps et les moyens d'imposer son offre au-delà de ce simple coup d'essai ?

Mise à jour au 19/09/2014

Le magazine spécialisé Haut Parleur a révélé dans son n°12 les résultats à 6 mois de la nouvelle offre de streaming de la Fnac. Les résultats sont pour le moins catastrophiques :

  • l'offre à 2 euros n'a convaincu que 738 abonnés directs ;
  • l'offre d'essai à 30 jour a été souscrite par 4256 internautes ;
  • l'abonnement à 9,99 euros/mois n'a lui enregistré que 996 souscriptions ;
  • et 333 pour l'abonnement mensuel à 4,99 € ;
  • l'application iOS n'a quant à elle été téléchargée que 59 332 fois.

C'est un score médiocre au regard du battage médiatique et des spots TV qui auront soutenu ce lancement.