De l'Algérie à la Marne
Né à Saïda, près d'Oran, en 1889, il est lieutenant en 1918 lorsqu'il rejoint le front avec le 2ème Tirailleurs Marocains (2e RTM), régiment mixte composé à la fois de pieds noirs et de troupes « coloniales », engagé tardivement dans la guerre (l'état major français est d'abord réticent à l'idée d'aligner des troupes indigènes, mais face aux dernières offensives allemandes de 1918, toutes les ressources - américaines, coloniales - sont bonnes à prendre).
Face à l'imminence de la fin du conflit, après 5 années de saignées et l'effondrement moral de l'Allemagne (qui débutera véritablement le 29 septembre 1918), Adrien n'a d'autres pensées que s'illustrer sur le champ de la 2ème bataille de la Marne. A défaut de gloire et de médaille, c'est une balle qui le fauchera en pleine tête : il venait de fêter ses 29 ans.
Le petit village de Ripont ne fut même pas reconstruit après guerre, tant sa destruction était totale. Mon grand-père rapatria après-guerre le corps de son frère, qui repose maintenant en paix en Normandie.
Les commémorations de 14-18
Que dire aujourd'hui de ce fatras médiatique autour des commémorations de la "Grande Guerre" ? Je reprendrai le commentaire publié dans Le Monde d'Antoine Prost, professeur à l'université Paris-I-Sorbonne :
Choisir Douaumont plutôt que l'Arc de triomphe, c'est se ranger du côté des victimes plutôt que du côté des vainqueurs. Cela revient, comme quand on célèbre Guy Môquet, à mettre l'accent sur la compassion sans se poser la question de la repentance. En cela, le président de la République est parfaitement en phase avec l'époque.
Il est plus que temps aujourd'hui d'aborder la question de la repentance, c'est-à-dire de la responsabilité et de la culpabilité de la France dans ce massacre. 90 ans après les faits, la classe politique française et l'Armée se posent encore la question de la réhabilitation des quelques 600 fusillés pour l'exemple officiels, c'est-à-dire des hommes désignés ou tirés ou sort afin d'être passés par les armes.
Je ne saurais trop vous conseiller une fiction, Path of Glory, de Kubrick qui vous plongera dans l'aberration du code militaire français (le film fut d'ailleurs interdit de projection en France pendant près de 18 ans...).
Au delà de cette focalisation sur le troufion de base, qui n'est que l'arbre qui cache la foret, c'est bien les événements de 1914-1918 qu'il faudra pendre le temps d'enseigner et de faire comprendre.
Les fautes de la France
Tout d'abord, l'aveuglement idéologique et la bêtise dont firent preuve le Haut Commandement français (népotique et corrompu) mais aussi anglais à préférer le choc, l'offensive directe, à une réelle approche stratégique indirecte. Et ce, pendant 5 longues années. Les poncifs tactiques de l'armée française sont nombreux à ce sujet, celui-ci est particulièrement représentatif :
Action locale en vue d'entretenir la combativité.
En d'autres termes, lancer un assaut pour rien. Sans objectif.
Ensuite, c'est l'anachronisme de la pensée militaire française alors que de nombreux exemples sont à sa disposition : la Guerre de Sécession, celle des Boers et plus proche encore, le conflit russo-japonais (1904-1905). Les précédents sont donc nombreux et ne peuvent avoir été ignorés, si ce n'est volontairement.
Le fantassin français est mal équipé : pantalon rouge, pas de casque ; il porte un sac de 35 kg et est armé d'un fusil Lebel sans chargeur. Surtout, le Règlement de manœuvre d'Infanterie, totalement surréaliste, a un siècle de retard dans ses préceptes. En voici un exemple :
Article 330. Dès que le moment de l'assaut devient proche, la baïonnette est mise au canon. Entraînés par les officiers et les gradés, les tirailleurs prennent le pas de course et se jettent, baïonnettes hautes, sur l'adversaire au cri de « En avant, à la baïonnette ! » Les tambours ou clairons sonnent ou battent la charge.
On comprend mieux les conditions dans lesquelles Adrien trouva la mort, mais moins le fait qu'à la toute fin du conflit, on a toujours recours à ces charges inutiles et meurtrières... Le premier film d'un assaut, daté de 1916, montre bien l'harnachement et la fameuse baïonnette au fusil du Règlement.
Enfin, c'est une France qui jette pour la première fois de son histoire une telle masse de soldats sur un front réduit, s'embourbant elle-même dans une guerre de position. C'est une France qui ne comprend pas l'intérêt stratégique que procurent les lignes de chemin de fer (et le déplacement rapide de troupes d'un front à l'autre). C'est une France qui ne comprend pas non plus les implications d'une guerre totale et industrialisée. Et c'est finalement une France victorieuse qui ne saisit pas, à la toute fin, l'opportunité de faire une vraie paix européenne et qui ouvrira directement la voie à un nouveau conflit.
Ces Père la Victoire (Clemenceau), ces Joffre, ces Pétain, ces Nivelle, sont autant de figures que l'histoire a jugées mais pas encore condamnées. Que l'on cesse de parler des tués à l'ennemi, qu'on arrête de se recueillir sur les tombes, et que l'on parle véritablement de la Première Guerre mondiale.
Je finirai ce billet sur une phrase extraite du discours de Nicolas Sarkozy prononcé ce jour, que je vous laisse sans commentaire :
Je penserai à cette jeunesse qui n'ira plus mourir en masse sur les champs de bataille. Je penserai à ces hommes dont on avait trop exigé, qu'on avait trop exposés, que parfois des fautes de commandement avaient envoyés au massacre et qui un jour n'ont plus eu la force de se battre.
1 De Guillaume -
Et pour aller plus loin dans l'analyse de ce conflit, je vous encourage à lire le livre de Bernard Schnetzler, "Les erreurs stratégiques pendant la Première Guerre mondiale" :
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