4. Un produit qui se cherche
Puisque l'engouement pour le téléchargement gratuit est si fort et que le besoin de trouver de futurs clients pour les marques l'est tout aussi, pourquoi ne pas proposer du téléchargement sponsorisé par des marques qui toucheraient de nouveaux prospects et engrangeraient de nouvelles ventes ?
Cette équation, pleine de bons sens, a pourtant difficilement accouché d'un modèle économique.
Élaborer un modèle économique basé sur un produit qui coûte cher (la musique) et une source de revenus extrêmement variable, voire incertaine (le lead qualifié), s'est révélé extrêmement complexe dès les premières phases du projet. D'abord lorsqu'il a fallu dessiner les contours du système (sponsoring simple ? Qualification ? Recrutement ? Fidélisation ? Tout ça à la fois ?) puis lorsqu'il a fallu ensuite développer le produit avec les moyens et les ambitions du moment, c'est-à-dire à faible coût (y compris la partie fonctionnement et commercialisation qui devaient être entièrement « automatisés »), le plus rapidement possible et la recherche d'une rentabilité quasi-immédiate.
Le produit a souffert d'un manque de spécifications qui n'ont réellement été arrêtées qu'à la fin de l'année 2009, malgré une volonté affichée de rajouter toujours plus de wagons à un train pourtant bloqué en gare, soit dans le but de séduire d'éventuels investisseurs et répondre à un effet de mode, soit pour viabiliser le modèle économique en accumulant les centres de profits.
Il s'est donc écoulé plus d'une année et demi entre le lancement du projet (2008) et la possibilité pour l'équipe technique d'en entreprendre la mise en œuvre. Mais il faudra tout de même que cette équipe technique arrête d'elle-même les spécifications et les réflexions autour de nouvelles idées afin d'espérer développer un produit simplifié par la force des choses.
L'encyclopédie de la musique
Ce retard dans l'écriture des spécifications s'explique d'abord par le fait que le projet se voulait un site de téléchargement de musique en ligne adossé à une encyclopédie. La musique et son contenu associé tenant alors une place essentielle, un temps précieux fut consacré à la réflexion sur ses possibles formes et son inévitable monétisation. Le tout devant former un ambitieux wiki parfois pompeusement qualifié de « Google de la musique ».
Or, la mise en place d'un tel site, après avoir échoué en 2008 (échec qui se répétera un an plus tard, pour les mêmes raisons : pas de catalogue de musique disponible) s'est très vite heurtée à la mi-2009 à une des réalités occultées du projet : la nécessité d'effectuer de lourds investissements financiers et de longues négociations (catalogue musical, back-office, etc.) auprès des majors, agrégateurs et maisons de disque. Ces « barrières à l'entrée » n'avaient semble-t-il pas ou peu été anticipées.
Sans pour autant tirer les conclusions de ces deux échecs relatifs, l'accent fut mis sur le deuxième volet du projet, c'est-à-dire l'outil permettant de monétiser l'audience et les données personnelles accumulées sur ZeroThune. Outil ambitieux qui deviendra plus tard le BabelPush (le « AdWords » du fichier qualifié).
Il n'y avait donc plus un produit (ZeroThune Musique) mes deux à développer en parallèle avec toujours les mêmes moyens humains (nous y reviendrons dans un prochain billet). Et ce deuxième produit héritera des mêmes carences que son prédécesseur (absence de spécifications et « empilement » d'idées).
Du seul point de vue du modèle économique et de son incarnation - le business plan - les produits étaient beaucoup plus nombreux : publicité au CPM, co-registration, location de données non qualifiées, cash-back, panels (sondages), questionnaires et newsletters sponsorisés, vente de titres (en direct puis via l'affiliation avec Amazon lorsqu'il a enfin été admis que la musique coûtait trop cher au projet), etc.
En somme, un modèle complexe et peu lisible, difficile à mettre en œuvre autant techniquement que commercialement, surtout dans des délais évidemment toujours très courts.
Le paradoxe de l'œuf et de la poule
Et tous ces modèles souffraient d'une terrible inertie : celle de la taille de la base de données qualifiées. Pas de membres, pas de données. Pas de données, pas de ventes. Pas de ventes, pas d'argent à redistribuer. Et pas d'argent, pas de musique à télécharger (donc pas de membres...). Et comment contraindre des internautes à répondre à des centaines de questions sans leur donner le moindre morceau ?
Ces différentes sources de revenus n'avaient d'autre but que de viabiliser le modèle voulu pour le BabelPush et ZeroThune, modèle empêtré dans cette double problématique : comment réussir à la fois à amasser suffisamment de profils qualifiés d'internautes et les vendre à des annonceurs en mal de prospects ?
Le BabelPush devait aussi répondre au soucis du livrable : l'annonceur n'achète pas une adresse e-mail qualifiée (nominative, segmentée, etc.), mais utilise un outil de prospection à la mécanique particulière qui n'offrait pas la possibilité de « travailler » sa cible par actions successives. On achète donc un contact en « one shot » comme on achèterait un clic sur un lien sponsorisé à Google. Or, la prospection ne fonctionne pas tout à fait de cette façon quand il s'agit de fichiers.
Pourtant, une solution avait déjà été évoquée au tout début du projet quand il était avant tout question de fidélisation. On éliminait ainsi le problème du recrutement extrêmement coûteux d'internautes qu'il faut ensuite qualifier à coup de musique gratuite. Ce sera d'ailleurs en partie le modèle retenu par la société MyFanGroup et l'orientation récente de Guvera.
Une consultante nous mettra très tôt sur une seconde piste qui restera inexploitée : obtenir gratuitement la récompense grâce à un mécanisme de compensation (c'est sur ce modèle que s'est développé le catalogue de cadeaux de Maximiles). La musique n'était alors plus à avancer aux maisons de disque et payée rubis sur l'ongle.
Enfin, à l'instar du modèle de Mailorama, très proche de ZeroThune, ou encore de l'affiliation et du cash-back en général, tous basés sur l'accumulation de points, le modèle économique retenu n'a pas permis de faire en sorte que la récompense (le téléchargement d'un titre) soit immédiate. Comment le public aurait-il accueilli une telle formule ? Ne serait-ce que pour proposer un premier titre gratuit, la société aurait du bénéficier d'une grosse trésorerie, difficilement envisageable faute de levée de fonds.
Mais cette accumulation « forcée » de points allait à l'encontre de l'idée initiale, qui était le téléchargement immédiat, légal et gratuit. Modèle qu'a très vite développé le concurrent Beezik dès juin 2009...
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