L'industrie freine des quatre fers le passage au numérique pour « ne pas tuer » les entrées au cinéma, les diffusions sur les chaînes câblées/cryptées, les sorties DVD, etc. Cette politique a généré une très grande distorsion entre la demande (disponibilité immédiate, qualité, consommation en tous lieux sur n'importe quel support, etc.) et l'offre, qu'Internet a comblée (la « nature » ne supportant pas le vide).
Pour avoir été client de l'offre VOD de Canal+ il y a trois ans qui me semblait à l'époque la plus riche, le constat est sans appel : absence de VO sur de nombreux titres, catalogue rachitiques (quelques blockbusters associés aux (tré)fonds de catalogues), prix prohibitifs par rapport au marché du DVD, etc.
Tout comme le CD il y a plus de dix ans, cette industrie ne veut pas voir et anticiper les grands changements qui l'attendent de peur de tuer la poule aux œufs d'or. S'installe alors une consommation parallèle totalement illicite qui prend racine dans les mœurs des internautes, créant encore plus de confusion entre ce qui légal et ce qui ne l'est pas.
Il est anormal que le téléchargement pirate soit plus aisé, rapide et exhaustif que sur l'une des (rares) plateformes légales actuellement disponibles.
Ouvrir un service de VOD est suicidaire aujourd'hui tant les avances sont exorbitantes (étrangement personne n'en parle) et les contraintes imposées par la filière sont énormes. Sans parler des carences techniques (formats, qualité, DRM, etc.). L'offre de musique en ligne souffre déjà de ces problèmes alors que les maisons de disque, les indépendants et les distributeurs font bien plus d'effort pour s'ouvrir à un plus large public que l'industrie du film.
Il y aura certainement un Hadopi de la vidéo et de la série télévisée, mais le réflexe répressif aboutira nécessairement, comme pour la musique, à une profonde modification du marché et à la création d'une véritable offre en ligne (qui aujourd'hui n'existe même pas sur le papier) car je reste persuadé que c'est le consommateur qui a toujours le dernier mot.
Reprise de mon commentaire publié à la suite du billet 100% des offres légales incitent au téléchargement illégal.
1 De Dimitri -
" Ouvrir un service de VOD est suicidaire aujourd'hui tant les avances sont exorbitantes (étrangement personne n'en parle) et les contraintes imposées par la filière sont énormes. "
En France, on dénombre une cinquantaine de services de VOD ! Cela démontre plutôt à quel point il est facile d'en mettre un en place.
"Tout comme le CD il y a plus de dix ans, cette industrie ne veut pas voir et anticiper les grands changements qui l'attendent de peur de tuer la poule aux œufs d'or."
La vidéo physique a un chiffre d'affaires de 1,9 milliard d'euros en 2010, la VOD n'est qu'à 135 millions. Ce n'est pas un manque d'anticipation mais simplement du bon sens. La VOD n'est pas près de se substituer au DVD et restera, à moyen terme, un marché supplémentaire.
À la différence du secteur de la musique, l'audiovisuel/cinéma dispose d'un complexe système de valorisation de ses produits => la chronologie des médias. "« ne pas tuer » les entrées au cinéma, les diffusions sur les chaînes câblées/cryptées, les sorties DVD, etc." c'est également assurer la survie de l'ensemble de l'industrie.
2 De Guillaume -
Il existe peut-être pléthore de services de VOD, mais l'étude même partielle de chacune de ces offres révèle très vite le manque de diversité et de qualité des films proposés. Combien sont ceux qui proposent un catalogue exhaustif et des films récents parmi la cinquantaine d'acteurs sur le marché ?
J'ai l'impression de lire le discours des dirigeants de majors du disque à la fin des années 90 où personne n'aurait misé un centime sur le numérique et encore moins sur le format MP3. La VOD n'en est qu'à ses débuts, mais elle est freinée par la position des ayants droit et des industriels.
Il suffit de regarder la croissance stupéfiante d'un Netflix outre-Atlantique pour comprendre les mutations à venir. Faut-il laisser un seul acteur rafler tout le marché, comme Apple l'a fait pour la musique numérique, ou bien faut-il mettre en place les conditions nécessaires au développement d'offres concurrentes, au bénéfice du client final ?
Le marché du DVD/Blue-Ray est certes protégé par cette chronologie des médias, mais pour combien de temps encore ? Tout comme l'avènement des baladeurs et du format MP3 a mis à mal le modèle de l'album sur CD audio, l'explosion annoncée de la TV connectée au Net va bouleverser les modes de consommation de films et séries.
3 De Guillaume -
Je vais prendre un exemple tout bête mais symptomatique : comment faire pour voir en direct, sur le Net, n'importe quel match de foot, en payant bien entendu l'accès à cette retransmission ? Impossible, tout simplement, toujours à cause de la complexe négociation des droits de retransmission.
Certaines chaînes font de timides efforts mais techniquement, la diffusion est souvent catastrophique (vidéo de mauvaise qualité, bande passante sous-dimensionnée, etc.).
Et ce sont des services illégaux sur le Web qui bénéficient de la frustration d'usagers qui n'entendent rien à la problématique des droits de diffusion...
4 De Dimitri -
Je suis d'accord avec vous sur l'analyse des raisons du piratage, sur le potentiel de développement de la SVOD, sur les catalogues loin d'être exhaustif ainsi que sur la mauvaise qualité technique des services. Vous prêchez un convaincu donc passons plutôt aux solutions envisageables pour résoudre ces problèmes.
Ce que je voulais mettre en lumière c'est que le marché de la vidéo et du cinéma est bien plus complexe que celui de la musique. Vous les avez comparez sur deux points : le qualité du catalogue et la facilité d'accès au catalogue. Selon moi, il faut avant tout se pencher sur la chronologie des médias (à reformer) et sur le mode de financement des contenus.
Concernant le foot, je ne sais pas comment sont négociés les droits Internet. Ne sont-ils pas directement attachés aux retransmissions hertziennes ? Si oui et que c'est donc Canal (ou autres) qui prend pas la peine de les diffuser via Internet, c'est qu'ils ne doivent pas juger rentable de le faire. Peut-on les blâmer ?
5 De Guillaume -
Vous avez raison d'insister sur les différences entre ces deux marchés : elles sont bien réelles et essentielles pour aborder l'avenir de la distribution numérique des films. C'est d'ailleurs l'ogre et le Petit Poucet en matière de chiffre d'affaires...
Je ne connais pas non plus les règles qui prévalent dans le foot, mais je pense que le coût d'accès à un catalogue global, c'est-à-dire «hertzien » (et non pas seulement réservé au Net) est rédhibitoire. Autrement, dit, l'affaire serait certainement rentable à condition qu'un bureaucrate de la FIFA en décide...