ZeroThune est un site de téléchargement gratuit de musique développé depuis plusieurs années dont les utilisateurs auront longtemps attendu la sortie. Le 31 juillet, le site est enfin accessible après plusieurs mois de travail sur la dernière mouture du service, dont un premier rodage avait été effectué le 23 avril.
Développé par un trio d'entrepreneurs - Yves Sassi, Philippe Macaire et Blaise Berdah - ZeroThune propose aux internautes « d’échanger leur profil consommateur avec les marques sponsors qu’ils choisiront » contre de la musique.
Cette dernière est disponible au format MP3 encodé en 320 Kbps CBR grâce à un accord de partenariat entre Urban Musique, éditrice de zerothune.com et la plateforme de vente en ligne 7digital. Le format retenu est donc meilleur que celui proposé par Beezik, lui-même protégé par DRM ou encodé en VBR dans un format MP3 plus compressé (moins de 200 Kbps).
Le site est riche en biographies et critiques d'albums toutes signées Music Story, contenu que l'on retrouve à l'identique sur les site de MTV, VirginMega ou encore Amazon.fr. Du contenu dédié aux instruments de musique est aussi prévu.
Données personnelles contre musique
Le site propose de manière assez classique un accès à un catalogue qui revendique « 10 millions de titres » téléchargeables « gratuitement et légalement ». Un fil d'actualité poussé sur la page d'accueil ou dans la colonne de gauche, un moteur de recherche ou des genres musicaux permettent notamment d'accéder aux morceaux.
La gratuité passe par 4 étapes décrites sur la page d'accueil : tout d'abord l'inscription qui comporte quelques champs obligatoires (nom, adresse e-mail, quelques goûts ou intérêts personnels), la sélection d'une musique de son choix disponible sur le site, remplir un questionnaire sponsorisé qui fait gagner des « thunes » (la monnaie du site) et enfin le téléchargement gratuit du morceau désiré. Simple, donc.
En réalité, le fonctionnement actuel du site est légèrement différent. Il vous faudra avant tout remplir des questionnaires « passions » afin de gagner des thunes qui, cumulées, vous donneront accès à vos premiers téléchargements gratuits. Ces questionnaires sont actuellement au nombre de 17 mais laissent supposer que d'autres viendront compléter le « profil consommateur » de l'internaute.
Notons la présence d'un opt-in de co-registration spécifiquement dédié aux newsletters de 7digital sur la page d'inscription.
Des thunes pour télécharger sans payer
Chaque questionnaire passion vous rapportera 35 thunes, sauf le tout premier dit « Général » qui n'en rapporte que 30.
L'inscription en elle-même - et les données communiquées au site lors de ce processus - ne rapporte pas de thunes (ce qui contredit l'aide en ligne) mais vous permet de télécharger deux morceaux de musique offerts lorsque l'internaute aura confirmé son adresse e-mail (à noter qu'il est impossible de télécharger un titre sans avoir validé son adresse e-mail).
Ces morceaux que vous ne pourrez choisir, sont en fait un seul et même titre - Every Breath You Take de Police - étrangement encodé en 128 Kbps et ne provenant pas du catalogue de 7digital.
La musique est un droit, et appartient à tous.
En remplissant la totalité des questionnaires, vous gagnerez alors un total de 590 thunes ce qui équivaut une fois converti en musique à 5 morceaux MP3 et un reliquat actuellement inutilisable de 90 thunes (chaque téléchargement coût en effet 100 thunes).
Au delà de ces 590 premières thunes, la mécanique décrite sur la page d'accueil ou la page « Plus de thunes » prend la relève et vous permettra, lorsque les annonceurs seront présents sur ZeroThune, de remplir des questionnaires poussés par les marques en fonction du profil que vous aurez justement complété.
La matérialisation de ce ciblage, qualifié à la fois « d'unique » et « d'exceptionnel » par les fondateurs, est toutefois visible puisque de faux questionnaires sponsors rédigés en bolo bolo sont accessibles mais n'accorderont aucune thune à ceux qui les rempliront, bêta oblige.
Les marques sont donc appelées à sponsoriser le téléchargement de morceaux de musique en échange de questionnaires poussées sur la page de téléchargement du titre sélectionné par l'internaute qui aura été lui-même sélectionné en fonction des réponses apportées aux questionnaires « passions.
Plusieurs questionnaires sponsorisés étant disponibles sur cette page, on suppose qu'il faudra en remplir plus d'un afin de gagner les 100 thunes nécessaires à un téléchargement « gratuit ».
D'autres formes de rémunérations sont cependant annoncées, notamment en rétribuant certains clics effectués sur les « offres-mail » poussées par ZeroThune voire même de récompenser les achats générés à partir de ces « push » sous la forme de thunes (une offre de cash back indirect).
Au delà de ces aspects marketing, l'internaute adhérent semble être placé au cœur de ce que les fondateurs « militants » appellent « le réseau » et seront une force de proposition écoutée par ces derniers et le site une plateforme d'échange avec les marques sponsors.
Afin de palier le manque de thunes ou l'absence de sponsors, ZeroThune a mis à la disposition de ses membres des packs de différentes valeurs (allant de 7 à 19 €) afin d'acheter plus classiquement ses morceaux, toujours à travers la mécanique des thunes. Le paiement en ligne a été confié à la sociétéPayPal.
A noter enfin qu'un titre déjà téléchargé pourra l'être ultérieurement sans devoir débourser les 100 thunes habituelles.
De nombreux problèmes de jeunesse
Un texte en gros caractères et en majuscules en entête rappelle à l'internaute qu'il visite un site en version bêta. Ce qualificatif, galvaudé et quasi-obligatoire pour qui se réclame de la mouvance « Web 2.0 » prend ici toute sa signification. Le site n'est en effet pas encore pleinement fonctionnel, loin s'en faut.
Une navigation difficile...
La recherche de musique souffre de la relative « jeunesse » du site et se révèle être particulièrement laborieuse.
Elle peut se faire de plusieurs façons : soit à travers un moteur de recherche classique soit en navigant à travers les 5 genres musicaux proposés sur chaque page (Chanson française, Pop Rock, Electro, Metal, Jazz et Rap) mais cette navigation pourtant bien pratique montre rapidement ses limites.
D'une part le genre Rock ne pousse aucun album sur sa page dédiée mais le lien « Voir tous les albums » affiche un liste alphabétique de toute la base de données ZeroThune, artistes, albums et titres confondus, indépendamment du genre musical retenu un page plus tôt.
Quasi inutilisable, cette page révèle tout de même le nombre total de morceaux disponibles qui n'atteint pas les 10 millions annoncés mais très exactement 3 933 617 titres.
La recherche a pourtant son importance, car sur ZeroThune, tout comme sur Beezik, les titres se téléchargent à l'unité même lorsque vous voulez acheter votre musique : un album payé via un pack se téléchargera donc titre par titre, une méthode décourageante et laborieuse pour l'internaute.
...au sein d'un catalogue musical réduit
Encore faut-il que ce dernier trouve le morceau recherché, car parmi les 4 millions de titres référencés, bien peu se révèlent être téléchargeables. En effet, nombreux sont les morceaux indisponibles ou - comble du ridicule - les albums référencés ne pouvant être téléchargés qu'en totalité, ce qui le système de thunes ne permet pas de faire.
Si l'on teste la présence des 10 titres les plus téléchargés sur iTunes en 2011, un seul morceau est disponible sur ZeroThune (Over The Rainbow d'Israel Kamakawiwo'ole).
Après quelques heures passées sur le site, l'internaute constatera qu'environ 2/3 des albums ou morceaux référencés ne sont pas téléchargeables, il y a donc beaucoup moins de 4 millions de titres disponibles. L'artiste David Guetta est représentatif de ce vide relatif : aucun des 9 albums disponibles sur ZeroThune n'est téléchargeable.
Sans doute faudra-t-il attendre de sortir de la bêta afin de disposer des 10 millions de titres annoncés.
Autre inconvénient mineur : il n'est pas possible de stopper l'écoute qui bénéficie tout de même d'une durée appréciable de 60 secondes grâce à 7digital. Plus grave, certains titres affichés comme téléchargeables ne le sont pas toujours : au lieu de récupérer votre titre, vous serez redirigé vers la page d'accueil du site lésé de vos 100 thunes. D'autres petits problèmes peuvent survenir tout au long de la navigation (doublons, écoute indisponible, etc.).
Des méta-données parfois chaotiques
Chaque artiste ou groupe dispose d'une fiche détaillée composée de plusieurs onglets thématiques : une « sélection » de titres de l'artiste (en fait l'affichage aléatoire d'une dizaine de morceaux), une biographie, une discographie (hélas vide), les collaborations du groupe ou de l'artiste, les dates clés et enfin un listing de tous les titres disponibles sur ZeroThune.
Certains artistes ne présenteront qu'une partie de ces informations. D'autres n'auront aucun album disponible sur le site et laisseront l'internaute face à une page quasi-vide. Sans parler des artistes fantômes.
Autre problème toujours lié aux méta-données de Music Story, certaines critiques d'albums ne correspondent pas à l'album consulté, comme sur cette page.
Le site aurait véritablement gagné en clarté en ne référençant pas titres et albums indisponibles ou seulement téléchargeables en totalité, ou encore les artistes sans aucune discographie ou morceaux.
Quelques pages introuvables ou orphelines, un outil de recherche perfectible et lent, des textes inachevés ou ne correspondant pas aux fonctionnalités du site (voir l'aide en ligne), de nombreuses fautes d'orthographe ou des informations erronées (les fichiers MP3 sont annoncés comme encodés en 256 Kbps) laissent une forte impression d'inachevé et finiront de décourager les plus curieux.
Des erreurs de jeunesse facilement corrigeables mais qui, cumulées, nuisent fortement à l'expérience utilisateur et portent atteinte à la crédibilité du site.
Une collecte de données perfectible
Plus grave pour le modèle économique de ZeroThune, la collecte de données personnelles est elle aussi pénalisée par de trop nombreux bugs : questionnaires enregistrant des réponses par défaut (faussant d'emblée le profil de tous les nouveaux membres), questionnaires acceptant d'être validés sans que toutes les réponses soient données, questionnaires qui n'enregistrent ou ne restituent pas les réponses tout en créditant des thunes, données similaires demandées plusieurs fois, absence totale de contrôles, etc.
Les questionnaires manquent aussi de cohérence : il semblerait qu'ils devaient reposer sur des embranchements conditionnels qui ont manifestement disparu, sans que les questionnaires soient remaniés, ce qui obligera le membre à donner de fausses réponses. De plus, certaines questions obligatoires lors de l'inscription ne le sont plus ultérieurement.
Et justement, l'internaute aura vite constaté que, afin de bénéficier des 5 morceaux gratuits proposés d'emblée sur le site, il lui suffit de remplir les 17 questionnaires sans vraiment se soucier de ses réponses.
Un simple add-on Firefox comme les outils Web Developer permet en un clic de remplir tous les champs dont aucun ne sera contrôlé par la suite.
Seule l'adresse e-mail fournie à l'inscription doit être valide, mais il existe pléthore de services de création d'adresses e-mail temporaires qui permettront de générer autant de comptes utilisateurs qu'il faut pour télécharger plus de 5 morceaux sur ce site.
Le membre plus scrupuleux se référera aux mentions légales du site elles aussi écrites en bolo bolo ou aux conditions générales d'utilisation - dont la première partie a été recopiée sur le site Beezik, adresse e-mail et numéro d'immatriculation CNIL inclus - afin de se faire une idée du degré de protection accordé à ses données personnelles.
Il est d'ailleurs curieux qu'aucun mécanisme de désinscription n'ait été prévu dans cette « bêta », bien qu'une procédure soit décrite dans l'aide. Les formulaires de contact qui auraient pu pallier cette absence, ne fonctionnent pas.
L'équipe dirigeante souhaite être à l'écoute de ses membres et annonce la mise en place d'un blog à cet effet (qui n'est pas encore en ligne) mais a fermé les commentaires de sa page Facebook et ne semble plus utiliser son compte Twitter. Impossible d'interagir avec elle ou de remonter ces problèmes aux développeurs.
Un modèle économique audacieux
Au delà des problèmes techniques ou conceptuels qui sont sans doute déjà connus et qui seront vite résolus, c'est le modèle économique retenu par ZeroThune qui pose le plus de questions.
Avant eux, SpiralFrog aux États-Unis ou Airtist en France se sont essayés au modèle du téléchargement gratuit financé par la publicité, sans succès. Seul Beezik récemment racheté par le groupe Ebuzzing a su tirer son épingle du jeu en proposant un format publicitaire innovant.
Vente de musique au titre
La partie achat classique de musique souffre de trois handicaps : le catalogue musical est (pour l'instant) extrêmement réduit, il n'est pas possible d'acheter un album entier et enfin la monnaie utilisée, les thunes, ne sont pas à l'avantage du consommateur.
Avec le 1er pack à 7 € pour 532 thunes, le titre vous reviendra à 1,40 €. Le pack le plus cher, à 19 € (1733 thunes) ramène ce prix à 1,12 €.
L'internaute est donc invité à comparer les prix des morceaux MP3 avant de les télécharger chez ZeroThune afin de ne pas payer plus cher un titre disponible sur d'autres plateformes à 0,69 €, 0,99 € ou 1,29 €.
Le reliquat de thunes des packs vous obligera à souscrire à un nouveau pack afin de pouvoir consommer l'intégralité des thunes achetées, ce qui là encore peut se révéler être un frein à la souscription de ces packs.
Un coût d'acquisition de membres élevé
Le système mis en place par ZeroThune destiné à encourager ses membres à se qualifier en replissant la petite vingtaine de questionnaires du site est extrêmement généreux. Il offre au terme de la procédure 5 titres aux choix.
Le coût d'acquisition d'un profil qualifié s'élève donc à environ 4 € (pour cinq morceaux à 0,80 € HT) ce qui représente par exemple, le revenu annuel par membre sur le réseau social Facebook (ce que l'on appelle l'ARPU).
Urban Musique part donc du principe qu'un membre « qualifié » rapportera au minimum plus de 4 € par an. A cela s'ajoute les thunes offertes par les sponsors en cliquant sur les offres commerciales poussées par e-mails, comme expliqué dans l'aide, qui devront être envoyées régulièrement afin de retenir les membres et éviter un turn-over élevé (et couteux).
Le modèle économique repose donc sur un coût au clic déterminé par la qualité du profil vendu à l'annonceur et sur des données personnelles remontées à l'annonceur via les questionnaires sponsors.
L'e-mailing est une méthode de prospection et de communication avant tout économique. Le ciblage se révèle une opération couteuse et peu pratiquée sur ce support, comme le révèle une étude d'Experian (80% des messages e-mail adressés sont les mêmes quelle que soit la cible, source).
Du point de vue de l'internaute, ce modèle suppose qu'il accepte d'une part de recevoir de la publicité par e-mail (« ciblée », donc) quand bien même sa boîte de réception est généralement déjà très encombrée, et d'autre part qu'il ne voit pas d'inconvénient à céder directement ses données personnelles (nom, prénom, adresse e-mail...) aux annonceurs afin de recevoir toujours plus de publicité (non rémunérée cette fois-ci).
C'est donc un double pari que prend ZeroThune. Triple, si l'on s'interroge sur le bénéfice apporté en retour, c'est-à-dire la possibilité de télécharger quelques titres de musique car les offres « gratuites » de téléchargement ou d'écoute en ligne ne manquent pas : Beezik et ses 5,8 millions de titres mais grevés par des DRM, YouTube, Deezer, Grooveshark ou encore Spotify.
ZeroThune propose tout de même le premier catalogue 100% sans DRM dans le meilleur format de compression MP3 du marché, bien que celui-ci s'oriente résolument vers le streaming et les offres de téléchargement loss less.
A l'inverse de Beezik qui a mis en place une formule simple et immédiate (je visionne une publicité et je télécharge mon titre), le processus d'accumulation de thunes, nécessairement plus long, risque de décourager les amateurs de musique sans pour autant convertir les adeptes du « piratage ».
La tentation du faux profil
Il n'est pas possible de se fier à la seule probité de l'internaute qui, nous l'avons encore récemment constaté avec le problème des ziks d'Allomusic, verra les failles du système et les exploitera à son seul profit.
L'absence de contrôle strict des données collectées ou les lacunes actuelles de cette collecte rend malheureusement leur exploitation difficile (par exemple l'âge n'est pas un critère obligatoire, c'est pourtant une donnée marketing essentielle).
Une mise à plat du système serait donc nécessaire avant le lancement officiel du site afin d'apporter aux annonceurs la garantie que le message sera bien poussé vers leur cible et non pas vers des concouristes. C'est en effet la seule façon de garantir un CPC ou CPA élevé pour ZeroThune.
Enfin, WellPack semble être le principal partenaire d'Urban Musique et aura sans doute une part active dans le développement de ZeroThune, au moment où tout laisse à penser que la société de vente à crédit sur Internet procède à un changement majeur de son business model.
A noter que depuis le début de cette bêta, aucun e-mail n'a été poussé par ZeroThune, qu'il s'agisse de la newsletter musicale, des « push publicitaires » ou des offres des partenaires. Aucune date de lancement n'a encore été annoncée.
MAJ au 21/08 : il semblerait qu'en plus de la référence à Beezik dans les mentions légales (corrigée depuis), les conditions générales d'utilisation aient été recopiées sur le site Allomusic (qui est toujours en ligne).