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Le secteur de la musique en ligne est sans doute en passe de perdre un de ses acteurs : Allomusic serait en liquidation judiciaire. C'est en tous les cas ce que l'on peut constater sur le site Societe.com.

Pourtant, il y a quelques semaines, Allomusic annonçait l'implémentation de l'Open Graph de Facebook ainsi que le prochain lancement qu'une grande campagne de communication radio, TV et Internet (source Musique Info).

Allomusic avait au début de l'année mis fin à son système de points de fidélité (les « zeeks ») qui représentait pour bon nombre d'abonnés, le véritable intérêt des formules Premium argent ou or vendues par le site de streaming. Un rapide calcul, que bon nombre d'internautes ont fait, aidés par les sites spécialisés qui traquent les bons plans du Net, montrait en effet les largesses et failles de ce programme de fidélité.

Du contenu au streaming

Allomusic s'était lancée fin 2009 sur le créneau du contenu. Extrêmement brouillon, la première mouture du site qui se voulait un portail d'information musicale tout azimut, n'a pas trouvé son public mais surtout de revenus à même de pérenniser l'aventure à laquelle participent alors Philippe Abitbol, Patrick Bruel, Manu Katché et Gérard Darmon.

Le site ne vend ni musique ni abonnement streaming en direct, mais de l'espace publicitaire.

Un an s'écoule avant que le changement de modèle ne soit consommé : dorénavant, Allomusic proposera du streaming et rejoint Deezer et Spotify (lancé en France en février 2010) sur ce marché où peu d'acteurs se pressent pour y proposer leurs services. Et pour cause, l'accès aux catalogues des différentes maisons de disque a un coût prohibitif difficilement rentable, compte tenu du faible nombre d'abonnés potentiels. A ce jour, aucun acteur de ce marché n'est d'ailleurs rentable, même à l'international.[1]

Afin de marquer sa différence, indépendamment de l'aspect contenu musical qui est en partie maintenu, Allomusic rémunère l'écoute sous forme de points de fidélité échangeables contre des bons d'achat (les zeeks). Système qui, on le sait maintenant, sera contreproductif et abandonné fin 2011. Il sera remplacé par une simple loterie (une seule aura été organisée avant la liquidation de la société).

A l'été 2011, Allomusic met la main sur les actifs de Jiwa en les rachetant à son ancien propriétaire Digiteka qui n'en aura strictement rien fait. Disposant encore d'une audience très respectable, aucune synergie visible entre les deux services n'est pourtant mise en place et il faudra attendre le lancement d'une troisième version de Jiwa.fr pour qu'un timide pont soit établi entre les deux offres des Investisseurs réunis.

Pour autant, les playlists et l'écoute au titre sont (temporairement, ndla) sabrées (car encore une fois économiquement non viables) afin de laisser place à une simple smartradio comme il en existe des dizaines sur le Web. Ce changement de cap aura probablement contribué à tarir un peu plus les ressources publicitaires de Jiwa en faisant fuir nombre d'anciens utilisateurs du service.

Un marché extrêmement fragile et concurrentiel

Ce sont donc deux sites qui vont disparaître, si aucun repreneur ne se manifestait : Allomusic et Jiwa. L'un des fondateurs historique de Jiwa, Jean-Marc Plueger, a depuis lancé une nouvelle start-up toujours dans la musique numérique : Yasound.

Les leçons de Jiwa ont d'ailleurs bien été retenues, puisque le projet repose directement sur une application mobile (iOS pour l'instant) et une écoute en mode smartradio, c'est-à-dire un modèle économique qui se passe des exorbitantes avances sur recettes exigées par les majors. Pour l'utilisateur final, le service est gratuit, ce qui le dispense de régler un couteux abonnement mensuel.

La survie d'un site de streaming comme Allomusic est problématique à plus d'un titre. D'une part, l'offre doit être suffisamment étoffée pour être intéressante, c'est-à-dire proposer un catalogue de titres le plus étendu possible afin de brasser tous les genres et goûts musicaux des futurs abonnés. Allomusic ne propose qu'un « petit » catalogue de 7 millions de titres quand la concurrence en offre plus du double.

Certains diront, à l'instar de Qobuz, que la qualité prime sur la quantité, mais ce point de vue est discutable.

Ensuite, la masse critique des abonnés est un facteur de rentabilité essentiel, et cette croissance est à aller chercher au-delà des frontières françaises, ce qu'Allomusic n'a jamais pu entreprendre.

Il faut aussi créer des synergies fortes : Deezer s'est associé à Orange, Spotify à SFR (mais très timidement), il restait donc Bouygues Telecom et le dernier arrivant, Free Mobile (a noter que Xavier Niel est actionnaire de Deezer). Bouygues qui par le passé avait déjà réalisé une opération de co-branding avec Beezik, n'est pas étranger à la chose musicale.

Contrairement à un Rdio - qui s'est justement lancé sur le marché français il y a deux semaines - Allomusic propose encore un site d'écoute 100% gratuit. Bien que le « gratuit » ait aidé à populariser Deezer ou Spotify (qui ont depuis fortement limité l'écoute gratuite), l'abonnement Argent à 4,99 € par mois ne présente pas vraiment d'intérêt du fait de cette gratuité, sauf si vous souhaitez gagner plus de... zeeks ! ;-)

Il est curieux de noter que les foudres d'Universal Music ne sont tombées en France que sur Deezer qui, lui aussi, tenait au caractère illimité de son offre de streaming gratuit...

Enfin, la technologie utilisée par Allomusic ne semble pas faire l'unanimité parmi les abonnés qui auront beaucoup de griefs à formuler sur les forums du site. Développée en marque blanche par la société Snowite (celle-là même qui a racheté OpenDisc), Allomusic n'a donc pas dans son escarcelle de technologie propre, hormis celle acquise au moment du rachat de Jiwa mais qui semble avoir été abandonnée avec la v3 du site.

Or la partie technique est un élément essentiel des nouvelles offres de streaming Web ou mobile. Les récentes évolutions de Spotify et de Deezer qui deviennent peu à peu de véritables boîtes à outils pour les développeurs de mashups, ne font que confirmer la prépondérance de ce nouvel aspect des métiers de la distribution (et donc de la consommation) de musique.

Aucune annonce officielle

Depuis le 8 mai, plus aucun message n'est diffusé sur les réseaux sociaux, les forums ou le site Allomusic. Les salariés que j'ai contactés n'ont pas souhaité s'exprimer ou ne m'ont tout simplement pas répondu. On ne sait donc pas combien de temps sera maintenu le service d'écoute Web ou mobile ni ce que deviendront les centaines de milliers de zeeks inutilisés.

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Personne dans la presse spécialisée ne semble s'intéresser aux problèmes financiers et commerciaux de cet acteur du streaming, et il est regrettable de voir disparaître un service d'accès gratuit à la musique, un de plus dira-t-on. Un pas de plus vers l'uniformisation totale des offres de streaming ou de téléchargement de musique.

L'heure n'est sans doute plus à l'arrivée de nouveaux acteurs de streaming par abonnement mais à des offres plus souples, soit en occupant une niche comme Qobuz, soit en proposant un service de smartradio à forte connotation sociale comme Yasound, Serendip ou encore Bloom.

Note

[1] Deezer se dit rentable mais uniquement grâce à la « béquille » Orange et ses abonnés fantômes ; Spotify aurait annoncé être proche du seuil de la profitabilité mais sans le confirmer. Les deux acteurs sont toujours à la recherche de sommes à 8 zéros...