Une nouvelle grille de services

Courtesy www.c4mprod.comQualifiée de « première mondiale », Qobuz a en effet lancé une offre de streaming sur mobiles Apple et Android via une application Desktop au format FLAC 16 bits/44,1 kHz. En clair, l'abonné aura accès à un format audio sans perte (« lossless ») par rapport à une écoute sur CD quand d'autres proposent « seulement » du MP3 en 320 Kbps.

La société française reprend ainsi son cheval de bataille : privilégier et faire payer la qualité plutôt que la quantité et une expérience d'écoute de moindre qualité (la compression MP3 dégradant en effet le son). Ainsi sur Qobuz, le format dit lossless est proposé à un prix supérieur à son équivalent compressé. Il peut arrive qu'un album vendu dans ce format soit quasiment au même prix que son équivalent sur CD.

La nouvelle grille tarifaire, reprise de l'article publié par PC INpact, comprend trois niveaux de service :

  • Basic : streaming sur ordinateur uniquement – MP3 à 320 Kbps à 7 € par mois.
  • Premium : streaming sur ordinateur et mobile (Apple/Android) et « téléchargement illimité » sur Windows/Mac OS X au format MP3 320 Kbps pour 13 € par mois.
  • Haute-Fidélité : streaming sur ordinateur et mobile et « téléchargement illimité » sur Windows/Mac OS X en lossless (16 bits/44 kHz) à 29 € par mois.

L'avenir de la musique selon Qobuz

Sur son blog, Qobuz justifie ces nouveaux services et tarifs dans un argumentaire tenant en trois points :

  1. Les abonnements streaming à 10 € par mois ne peuvent pas faire vivre la filière du disque. Il faut donc augmenter les tarifs afin de pérenniser ce mode de consommation de la musique. Ces tarifs sont pourtant en partie fixés par l'industrie du disque (tout au moins par les majors du disque). Je me rappelle les ambitions d'un Jiwa qui voulait justement « casser » ces prix jugés trop élevés.
  2. La qualité audio proposée par la concurrence n'est pas suffisante et laisserait ainsi à la porte une grande partie des consommateurs, déçus par l'offre légale. L'adoption de ce mode d'accès à la musique pour une majorité de personnes doit, pour Qobuz, passer obligatoirement par une amélioration de la qualité d'écoute.
  3. Il n'y aurait pas de vrai service de musique en ligne ; les acteurs du marché doivent donc se concentrer sur l'essentiel : la musique. Modèles économiques hasardeux, grandes surfaces ou publicité n'ont rien à faire avec la distribution numérique.

Les « abonnements haute-qualité à valeur ajoutée » sont la réponse à ces trois problématiques : prix, qualité, spécificité.

Nouvelles offres

On ne fera pas de commentaire sur le ton très « qobuzien » de leur communiqué de presse que je vous laisse découvrir. ;-)

Du téléchargement « illimité » limité

Tordons déjà le cou à cette formule galvaudée mais toujours à la mode. Le téléchargement « illimité » proposé par Qobuz ne correspond ni plus ni moins qu'à la synchronisation hors ligne des offres Deezer ou Spotify Premium.

Vous n'aurez pas la possibilité de copier vos titres sur votre baladeur ou chaîne Hi-Fi équipée d'un disque dur ou d'une prise USB. L'écoute sera obligatoirement faite depuis un PC ou un Mac équipé du logiciel bientôt fourni par Qobuz. En clair, il s'agit de téléchargements avec DRM ce qui implique que les morceaux « téléchargés » verront leur licence révoquée en fin d'abonnement.

On comprend la tentation pour Qobuz de qualifier de « téléchargement illimité » cette nouvelle fonctionnalité, mais elle aura plutôt comme conséquence de troubler et frustrer le consommateur, comme l'indique déjà la réaction de certains.

Des choix stratégiques de Qobuz

Du streaming en lossless

Les opérateurs télécoms ne sont pas forcément favorables aux applications consommatrices de bande passante. Un article des Échos montre que la tarification, et donc la bande passante et le quota associé, varie fortement d'une offre à l'autre et selon les opérateurs.

L'ARCEP a aussi mis en lumière les différences en matière de couverture et qualité d'accès à la 3G : il y a une différence sensible entre les débits théoriques ou annoncés et la réalité sur le terrain. Pour ma part, depuis mon domicile parisien, mon BlackBerry capte très difficilement le signal 3G (opérateur SFR). :-(

Comment donc se comportera le streaming en lossless, où un débit de 700 Kbps est nécessaire (12 Mo pour un morceau de 2 min 30, et quatre fois plus en 24 bits) sur une connexion mobile 3G dans des conditions réelles ? A cela on pourra rétorquer que le système de cache présent sur l'application mobile permet de télécharger les morceaux de sa playlist et les jouer même en cas d'absence de toute connexion réseau. Il faudra donc privilégier une connexion WiFi sous peine de voir votre quota mensuel fondre comme neige au soleil (une heure de musique FLAC équivaut à environ 250 à 400 Mo).

Mise à jour : en réalité le streaming mobile se fait en MP3 320 Kbps et non pas en FLAC, ce dernier n'étant réservé qu'à un usage fixe, via une application Desktop à installer. En mobilité, Qobuz n'offre donc rien de plus que la concurrence.

Quid aussi du respect de la neutralité du Net en matière de débits pour Orange qui pousse activement l'offre concurrente Deezer vers ses clients ?

Les mélomanes sur smartphones veulent-ils du lossless ?

J'ai toujours du mal à voir l'intérêt du lossless en streaming mobile : un smartphone n'est tout simplement pas la meilleure plateforme d'écoute pour qui accorde une grande importance à la qualité audio. La restitution de la musique sur mobile est souvent desservie par un mauvais chipset ou un casque de piètre qualité. Le mobile est un appareil souvent utilisé dans un environnement bruyant à l'instar du baladeur.

De plus, il est nécessaire de passer soit par son mobile (donc par un jack audio sur Android qui est loin d'être la panacée, ou AirPlay pour l'iPhone) soit par un PC/Mac (DRM oblige) via le Qobuz Desktop pour écouter ses morceaux sur une chaîne Hi-Fi, seule capable de correctement restituer une musique qualité CD. Or Qobuz s'adresse avant tout à la niche des amateurs avertis de musique à la recherche de qualité plutôt que d’exhaustivité. Il y a là, à mon sens, une petite contradiction.

Sans parler du fait que iPhone et autres mobiles Android ne sont pas capables de lire un morceau encodé en 24 bits (bien qu'Apple réfléchisse à passer une partie de son catalogue iTunes Store dans ce format).

Le manque de profondeur du catalogue

Certes, Spotify ne propose qu'une partie de ses titres en MP3 320 Kbps, mais il affiche 15 millions de morceaux au compteur, soit deux fois plus que Qobuz (7,2 millions). Ce dernier botte en touche en arguant que le site opère de lui-même une « sélection » des artistes et albums à la manière d'un disquaire.

Pour autant, les goûts ne devraient pas se discuter. Le disquaire traditionnel avait avant tout à régler la problématique de ses stocks et rayonnages non extensibles, contraintes qui n'existent plus dans le numérique où la partie éditoriale d'un site comme Qobuz est justement là pour orienter le consommateur alors qu'il le laisse à la porte de son service, faute de lui offrir ce qu'il cherche. Certains genres brillent ainsi par leur absence comme les musiques de films.

Qobuz peut-il se permettre de tout sacrifier au nom de la qualité ?

Une tarification élevée

C'est à mon sens le point crucial de cette annonce. Les deux premières offres sont à peu de choses près équivalentes à ce que propose la concurrence incarnée par Deezer et Spotify, mais elles sont facturées ici 30 à 40% plus cher pour une profondeur de catalogue réduite de 47% (Deezer) à 54% (Spotify).

La véritable nouveauté et le fer de lance de Qobuz - qui mise ici tout sur le streaming payant, l'avenir de la musique selon la start-up - réside donc dans la dernière offre dite Haute-Fidélité. L'abonnement bondit à 29 € par mois (prix de lancement) qu'il est possible de réduire à un peu moins de 25 € en souscrivant à l'année.

Qobuz fait donc un double pari : celui que les consommateurs privilégient la qualité sur la quantité/profondeur de catalogue, et que cette qualité justifie un écart de prix de 30% à 40% à produit égal (streaming MP3 en 320 Kbps). Le streaming en qualité Hi-Fi a quant à lui peu de chance de trouver son public compte tenu de son prix prohibitif : 29 € par mois, soit l'équivalent de deux à trois albums CD, ce qui ne doit pas être loin de la consommation moyenne d'un amateur de musique.

Se tromper de cible et d'adversaire ?

Le raisonnement de Qobuz est certes louable mais ne correspond pas d'après moi aux réalités du marché qui n'a cessé de muter ces 10 dernières années. La qualité et le soutien à l'industrie du disque à travers des tarifs plus élevés ne sont pas des arguments à même de changer profondément et massivement les habitudes ou d'attirer les réfractaires au tout numérique, et encore moins les « pirates ».

Les études montrent d'une part que la qualité d'écoute en 320 Kbps sur les supports actuels est considérée comme largement suffisante pour le plus grand nombre. Le prix est ensuite un facteur clé. Il y avait déjà peu de différence entre le prix de vente d'un fichier compressé et son équivalent CD, cette différence disparaît avec le lossless pour un produit (le numérique) qui n'est pas perçu comme émotionnellement et qualitativement identique au Compact Disc.

La profondeur de catalogue est aussi un élément important : un des « avantages » essentiels du téléchargement « pirate » réside dans la richesse de son « offre » et dans la disponibilité de titres ou albums introuvables, car celle-ci s'affranchit de la lourdeur bien réelle des droits d'auteur. Pour acheter en ligne, il faut d'abord trouver ce que l'on cherche. Le client est ensuite fidélisé par la qualité du produit et des services associés, et enfin par les recommandations faites en fonction de ses achats, goûts ou de la ligne éditoriale du site.

Je pense enfin que Qobuz se trompe d'adversaire : les services comme Deezer (véritable bête noire de son P-Dg) et Spotify ne sont pas les vrais adversaires de la société (ni les « supermarchés » de la musique). Le véritable ennemi, c'est bien la contrefaçon qui a depuis longtemps versé dans le lossless.

Faire encore la distinction fin 2011 entre du téléchargement et du streaming et utiliser des DRM montre que la distribution numérique - et avec elle toute l'industrie du disque - a encore quelques années devant elle avant de véritablement proposer une alternative crédible, accessible et compétitive au téléchargement « pirate » et adaptée aux nouveaux modes de consommation de la musique.