Ayant quitté la société suite à son dépôt de bilan et sa mise en redressement judiciaire, j'aborderai dans ces colonnes les différents aspects qui, selon mon analyse, ont mené le projet à sa perte en janvier 2011. Je pense qu'ils sont riches en enseignements et méritent d'être partagés avec vous.
1. Le choix d'un site de téléchargement
Le projet, initié début 2008, se proposait de « trouver une solution au problème du téléchargement pirate de musique ». Beaucoup de choses ont été dites et faites depuis à ce sujet.
L'industrie du disque est grevée par deux problèmes majeurs : d'un côté l'enracinement du piratage sous de multiples formes dont la plus répandue étant le téléchargement P2P. On estime ainsi qu'aux États-Unis, 80% de la musique téléchargée l'est de manière illicite. De l'autre, ce secteur est freiné par les réticences des acteurs de la musique, producteurs en tête, face à la montée du numérique et l'érosion des ventes physiques.
Ouvrir un service de distribution de musique numérique aujourd'hui revient à se heurter à ces deux barrières à l'entrée : changer la mentalité d'une majorité de consommateurs d'une part et celle d'une industrie qui n'a pas encore pris le parti du numérique d'autre part. Industrie qui est amenée à exiger des avances astronomiques (de 120.000 euros pour Universal Music jusqu'à 400.000 euros pour EMI), parfois exiger des parts dans le capital de start-up au risque de fausser la concurrence, quand elle n'éconduit tout simplement pas les projets qui lui sont présentés.
Financièrement parlant, lancer un site de musique en ligne représente un investissement d'un à deux millions d'euros et une bonne année (et demi) de négociation avec la myriade de catalogues du marché français, sans aucune garantie de succès. Même lorsque vous êtes un Spotify ou un Google, comme l'actualité récente nous l'a rappelé.
Une rentabilité difficile à obtenir
Indépendamment de ce lourd investissement, un titre MP3 est vendu par les maisons de disque entre 0,69 € et 1,12 € hors taxes (TVA et SACEM) et hors royalties perçues par le consortium qui détient les droits du format MP3.
En admettant que le site vende sa musique plutôt que de l'offrir, la marge réalisée est quasi-inexistante. Il est donc très difficile de vivre du téléchargement. La rentabilité s'obtient avec la lente augmentation des ventes s'étalant sur plusieurs années et une diversification des services proposés (packs, abonnements, etc.). Lorsque chaque titre téléchargé doit être compensé par des revenus publicitaires, l'équation semble encore plus complexe.
Dans le domaine de la vente de titres, le secteur est totalement verrouillé par Apple et de quelques acteurs se partagent âprement les miettes restantes : Amazon, Fnac.com, Virgin Mega, Qobuz, Starzik ou musicMe. Du côté du gratuit, seul Beezik semble avoir trouvé la bonne formule grâce à la niche qu'il occupe (le « spot publicitaire plein écran garanti »). Airtist a récemment fermé boutique, faute de revenus publicitaires suffisants.
Enfin, le marché s'oriente maintenant vers l'abonnement et le streaming (et dernièrement vers les music file lockers) et non plus le téléchargement à la carte, le tout basé sur un modèle freemium (des services gratuits et limités amenant à la souscription de formules payantes) et reposant sur une vaste gamme de supports (site Web, logiciel et application mobile/tablette).
En conclusion, la vente de musique en ligne n'est pas une activité rentable à court ou moyen terme sur un marché qui se cherche encore énormément. Il y règne une grande instabilité alimentée par une farouche concurrence et un verrouillage en règle de la part d'Apple et des Majors. Le rapide et inexorable déclin des ventes et les nombreux « nouveaux » modèles économiques supposés redresser la barre ont rendu les maisons de disque particulièrement méfiantes vis à vis de ces startups qui leur ont déjà coûtés beaucoup d'argent par le passé (comme SpiralFrog aux États-Unis) ou ont fait long-feu (Airtist en France).
Dans le domaine du « tout gratuit », le modèle du téléchargement immédiat est prédominant (Beezik, Guvera dont j'ai souvent parlé ici en B2C ou Music Interactive, Free All Music ou MyFanGroup en B2B), ce qui n'est pas sans handicaper un service basé sur un mécanisme en deux temps (accumulation de points avant téléchargement) adopté par ZeroThune, comme nous le verrons plus tard.
Quelques conseils
- Prenez le temps d'étudier votre marché, ses règles de fonctionnement, ses acteurs : vos futurs fournisseurs, partenaires et clients.
- Plongez-vous dans la lecture de quelques livres ; pour la musique les références sont nombreuses et toutes excellentes, y compris magazine avec Musique Info.
- Ne mettez pas la charrue avant les bœufs : négociez les différents contrats avant de monter une équipe technique, tributaire du résultat de ces négociations.
- Rencontrez les acteurs de votre future activité, y compris vos concurrents. Votre « idée géniale » a certainement déjà été envisagée, développée, testée... et vous gagnerez un temps précieux à innover dans un domaine réellement inexploité.
1 De Guillaume -
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