Si vous lisez ce blog depuis suffisamment longtemps, vous devriez être familiers du concept développé par ZeroThune : la collecte volontaire de données personnelles très détaillées en échange d'une récompense, de la musique. La start-up Yes Profile reprend la même idée en troquant musique contre argent.
Vos données valent déjà de l'argent
Les données personnelles et leur monétisation : depuis quelques mois la presse n'a de cesse d'évoquer ce sujet et de sensibiliser de plus en plus l'internaute sur ces enjeux.
Avec l'avènement auto-proclamé du « Big Data », des différents reportages comme celui d'Envoyé Spécial auquel j'ai participé, aux articles ou chroniques consacrés à Facebook dont la principale ressource réside dans nos données personnelles, la manne grossissante qu'elles constituent est de plus en plus convoitée.
De ces sommes générées par l'envoi d'e-mailings publicitaires, le ciblage personnalisé, le re-targetting, les cookies de tracking, la location d'adresses e-mails ou encore les bases de données mutualisées de consommateurs, un acteur brille par son absence et son total désintéressement : l'internaute.
Cette manne a représenté pour les seuls membres du SNCD la bagatelle de 94 millions d’euros en 2012.
Et c'est au partage équitable de la valeur que représentent vos propres données (personnelles, faut-il le rappeler) que la start-up française Yes Profile souhaite aujourd'hui s'atteler. Non sans y prélever son pourcentage en qualité de médiateur.
Yes Profile : un projet similaire à ZeroThune
En parcourant mes billets consacrés à la start-up ZeroThune, vous aurez déjà une bonne idée des principes qui animent Yes Profile car ils sont très similaires. Deux des fondateurs de ces jeunes sociétés se sont d'ailleurs rencontrés courant 2010.
L'internaute ou plutôt son profil est recherché par les annonceurs. Un message publicitaire est souvent poussé selon des critères sociodémographiques (des femmes entre 30 et 50 ans), comportementaux (j'ai visité tel et tel site) ou contextuels (des abonnés à une newsletter automobile).
Redevenez propriétaire de votre profil !
Bien qu'ils peuvent être amenés à payer relativement chers leurs fichiers de prospection, les annonceurs ne rémunèrent jamais directement l'internaute mais des éditeurs de services qui constituent des bases plus ou moins qualifiées, des agrégateurs dont la qualité des fichiers varie fortement (de très médiocre pour ne pas dire nulle à du spécifique) ou encore à travers la mutualisation et l'enrichissement de données issues d'autres sites, comme Conexance par exemple.
On le voit : le marché est vaste et le chemin que peut prendre les fichiers entre ces différents acteurs ne l'est pas moins.
Yes Profile propose à la fois aux internautes la possibilité d'être rétribués pour les données personnelles qu'ils confieront à la start-up (alors qu'elles ne sont jamais rémunérées, sauf en de rares exceptions comme Mailorama du groupe Rentabiliweb ou bien sur des sites d'avis de consommateurs comme Toluna) et d'en centraliser le dépôt afin d'en protéger l'accès, mais aussi aux annonceurs de pousser leurs messages commerciaux sur une base très ciblée, consentante et réactive.
Côté internaute, il vous faudra tout d'abord créer votre compte et votre profil en remplissant un ensemble de questionnaires thématiques (découpés ensuite en modules) dont seuls deux sont d'ores et déjà accessibles : Universel et Qui suis-je.
Ces questionnaires constituent la base de ce qui sera votre profil qualifié loué ensuite aux marques intéressées par les données sociodémographiques et déclaratives que vous aurez bien voulu leur communiquer.
Les questionnaires et leurs modules déterminent ainsi la valeur de votre profil et son potentiel commercial.
A tout moment il est possible de stopper la commercialisation (donc la diffusion) de certaines informations vous concernant à travers un « switch » prévu à cet effet agissant au niveau d'un module entier.
D'autres questionnaires viendront compléter l'offre actuelle (sport, équipement informatique, etc.) permettant notamment de déclarer vos biens, services et abonnements (matériel HiFi, automobile, assurances, etc.) et ce que vous aimeriez acquérir (nous sommes dans de l'intention d'achat) en plus de vous définir vous-même (profession, revenus, etc.).
L'internaute pourra aussi s'abonner à des newsletters d'annonceurs qui seront là encore sources de revenus. On parle ici de coregistration.
Chaque module rempli fait progresser la valeur globale du profil de l'internaute qui a constamment à l'écran ce qu'il peut potentiellement gagner tous les mois. Chaque questionnaire possède sa propre valeur globale qui est fonction des questions posées (et qui font progresser la valeur de l'internaute d'environ 0,10 €).
Contrairement à ZeroThune, l'internaute peut s'opposer à ce que son profil soit loué à une marque ou une société donnée. Il doit en effet donner préalablement son accord à la marque appelée à le solliciter.
Il agit donc en totale liberté et contrôle la diffusion d'informations qui ne seront jamais communiquées à l'annonceur, sauf si elles lui sont directement demandées (adresse postale, e-mail, coordonnées téléphoniques). Mais un profil ne sera jamais consultable dans sa totalité par l'annonceur.
Une fois que l'internaute membre de Yes Profile a donné son accord, un message lui est poussé qu'il lui faut ensuite ouvrir sur le site et non pas par e-mail afin d'empocher ses gains.
Ce choix s'est semble-t-il opéré afin de régler les problèmes de délivrabilité : l'annonceur y gagne la « garantie » que sa publicité aura bien été acceptée et ouverte par l'internaute qu'il aura rémunéré.
Mon profil vaut actuellement 1,77 € et m'a déjà virtuellement rapporté 1,5 € à travers les 5 premières campagnes poussées par Yes Profile (la société génère déjà un petit chiffre d'affaires).
Il est d'ailleurs possible de déterminer la valeur du vôtre grâce à un simulateur en ligne. Ces montants augmenteront au fur et à mesure de l'ouverture de nouveaux questionnaires et bien sûr de l'arrivée de nouvelles campagnes.
Il faudra ensuite attendre d'avoir accumulé 20 € pour que l'internaute puisse toucher ses gains qui seront alors virés sur son compte bancaire. Ce plafond est d'ailleurs appelé à être baissé et permettra ainsi à des utilisateurs occasionnels de toucher leur pactole un peu plus vite.
Mais la nécessité de posséder un compte permettra notamment à l'annonceur de toucher non pas un internaute mais un foyer, d'éliminer les mineurs, d'éviter la multiplication de faux profils, etc.
A noter aussi que l'internaute pourra faire don de sa cagnotte une association à but non lucratif.
Une initiative qui n'est pas sans risques
Le projet rencontrera plusieurs obstacles sur son chemin que nous allons tâcher d'identifier.
Un secteur peu motivé par le partage de son chiffre d'affaires
Tout à bord, il lui faudra affronter la grande réticence des acteurs de l'e-mailing à l'idée de partager les fruits de ce business avec leur « matière première », c'est-à-dire l'internaute.
Nous ne sommes bons qu'à recevoir de la publicité plus ou moins ciblée, plus ou moins désirée, plus ou moins en grande quantité mais à aucun moment nous ne devrions nous opposer à leur envoi, appliquer un filtrage strict ou efficient et encore moins à toucher de l'argent pour chaque publicité routée.
Mais cette posture a aujourd'hui vécu.
Yes Profile partage cette valeur avec l'internaute à hauteur de 0,30 € par « push ». Quelques rares initiatives sur le Web ont aussi pris le parti de partager les gains publicitaires générés, mais les montants n'ont strictement rien à voir avec ce qui est ici proposé : un Mailorama verse par exemple une fraction ridicule de la commission d'affiliation (déjà très basse), entre 0,01 et 0,02 € par message ouvert ou clic et un peu plus lorsqu'il s'agit de CPL ou d'achat.
On imagine sans peine ce que doit penser le SNCD et ses membres du projet Yes Profile. Plus l'internaute sera sensibilisé à la valeur commerciale de ses données personnelles qu'il laisse à pléthore d'acteurs qui eux-mêmes se les partagent ensuite, se les revendent, etc. moins le modèle non rétributif pourra encore être appliqué.
Ajouter de la publicité à la publicité : une bonne idée ?
Cependant, l'internaute lui-même est déjà échaudé par la commercialisation à outrance de ses données personnelles.
Bien que l'idée de gagner de l'argent avec ces dernières peut être alléchante sur le papier, cela passe de nouveau par de la collecte et la diffusion dans la nature d'informations extrêmement précises et intrusives sur sa vie privée.
Est-il prêt à consacrer du temps à l'élaboration de son profil, répondre à des dizaines de questionnaires, ouvrir les messages publicitaires pour quelques euros par mois ?
Nombre d'internautes ne réalisent pourtant pas qu'en effectuant des achats chez PriceMinister ou Amazon, ces grandes enseignes du e-commerce tirent déjà profit de leurs données, qui permettent même pour certains d'entre eux d'atteindre l'équilibre ou de dégager leur marge.
Il ne suffit donc pas de se désinscrire de certains sites pour ne plus voir ses données personnelles « exploitées » sans rétribution. Le modèle introduit par Yes Profile aura donc tendance à se généraliser et les internautes à rechercher et réclamer d'une manière ou d'une autre le partage de la valeur ajoutée.
Cette généralisation du modèle permettrait par exemple de proposer l'intégration de Yes Profile sur des sites tiers, en marque blanche. La société apporterait ainsi l'outil de qualification et de monétisation des données issues de la base d'un affilié, éditeur de site ou bien e-commerçant.
Mais il faudrait idéalement que Yes Profile filtre les e-mails de l'internaute et lui laisse la possibilité d'exclure les e-mailings et publicités pour lesquels il n'est pas rétribué, tout en laissant passer celles dont l'intérêt est véritable. Une sorte de proxy ou filtre anti-spam mais à vocation commerciale.
Un modèle qui doit cependant faire ses preuves
Enfin et plus important encore, la start-up doit faire ses preuves auprès d'annonceurs qui n'accordent généralement pas beaucoup d'intérêt ou de valeur aux profils « incentivés » c'est-à-dire récompensés pour recevoir de la publicité.
De l'efficacité publicitaire du prospect « loué » par la marque (taux d'ouverture, mais surtout taux de transformation) dépend la valeur réelle du profil de l'internaute. Car l'annonceur n'achète en réalité qu'une fraction de l'attention de l'internaute et à aucun moment ses données personnelles (sauf à de rares exceptions, notamment lors d'une coregistration).
Si le taux d'ouverture doit être certainement bien plus élevé qu'avec un e-mailing traditionnel même bien ciblé, le passage à l'achat, la consultation d'un site ou même la lecture du message lui-même n'est en rien garanti et n'est pas intégré dans le coût de location a contrario d'un Google AdWords qui vend du clic contextuel ou des campagnes au CPA.
L'annonceur ne préférera-t-il pas être maître de l'envoi de son message par e-mail plutôt qu'à travers le site Yes Profile ? Ou ne payer l'internaute et la start-up qu'à la performance ?
De plus, pour être réellement efficace et attirer justement les annonceurs, la masse critique de la base de données de Yes Profile devra dépasser les 100 000 inscrits qualifiés. Comment garantir une rémunération même minime à une audience qui se constitue à peine et qui de surcroit n'est pas encore qualifiée ? C'est le problème numéro 1 auquel devra s'atteler la société.
Et contrairement à ce que de nombreux entrepreneurs s'imaginent lorsqu'il s'agit de proposer de la gratuité ou même de faire gagner de l'argent, les internautes ne se précipiteront pas systématiquement sur ce type d'offres comme ils ne l'ont d'ailleurs pas fait pour ZeroThune. Le coût d'acquisition et de qualification de la base n'est donc pas négligeable.
Il faudra convaincre les internautes incrédules et ouvrir grandes les vannes en garantissant à l'annonceur des profils variés, une très stricte vérification des données (le deuxième point critique du projet après la taille de la base) et une certaine fraîcheur des fichiers tout en écartant les nombreux concouristes du Web.
Enfin, quelles garanties sont offertes à l'internaute en matière de protection de ses données personnelles ? Les données sont-elles cryptées dans la base, anonymisées en dissociant la partie nominative du reste de la base déclarative ?
Une start-up à suivre
Le « modèle » en quelque sorte initié par ZeroThune mais pleinement développé par Yes Profile est à la fois très prometteur et facilement déclinable à l'international (le site est d'ailleurs disponible en anglais).
L'équipe me semble solide, les fondateurs ont tous des compétences complémentaires et le projet a été jusqu'ici particulièrement bien mené. Enfin, son arrivée sur le marché semble idéale.
La société fonctionne pour l'instant sur du « love money » et aura investi dans ce projet un montant relativement identique à celui de ZeroThune, ce qui leur fait un autre point commun.
La vision qu'a développée la start-up me paraît claire et s'inscrit déjà sur le long terme. Une nouvelle version du site est prévue à la rentrée prochaine tout comme une version mobile et une foule d'idées en développement.
Là où un ZeroThune aura tout misé sur l'attrait que pouvait représenter la musique téléchargeable « gratuite » quitte à faire passer au second plan l'aspect monétisation et qualification, Yes Profile choisit de donner une valeur directe et par là même compréhensible du profil de l'internaute, lui permettant ainsi de mieux saisir les enjeux économiques de ces fameuses données personnelles et on l'espère, d'en tirer pleinement parti.
1 De BL03 -
Bonjour et merci pour ces commentaires relatifs à YesProfile. J'y suis inscrit depuis 3 semaines et toujours aucunes nouvelles de leur part. Vous avez plus de chance que moi en la matière car vous avez reçu des campagnes, pas moi.
Je ne connaissais pas votre blog et je le trouve très intéressant.
Je reviendrai.
2 De Guillaume -
Merci pour vos encouragements !
Concernant Yes Profile, il faut être patient, de nouveaux services sont en préparation... ;-)
D'ici là je vous invite à tester un service plus ou moins concurrent, le site PubliAddict qui rémunère plutôt bien ses membres. Par contre l'ancienneté joue beaucoup dans leur modèle qui consiste à visionner des vidéos publicitaires, chacune étant payée 0,25 €.