Alors que se tient en ce moment à Cannes le MIDEM où les acteurs du marché de la musique enregistrée se retrouvent et devisent, intéressons-nous à Deezer et plus particulièrement au couple qu'il forme avec Facebook en matière de recrutement de membres.

Ce MIDEM est en particulier marqué par les enjeux qui attendent la start-up française Deezer notamment en matière de développement à l'international, de rentabilité et même de son modèle.

Deezer est en effet sérieusement attaqué par Spotify qui a récemment annoncé la gratuité partielle de l'écoute mobile jusqu'ici réservée aux abonnés et se targue d'avoir qu'un meilleur taux de conversion d'abonnés, doublé du lancement du nouveau chouchou des médias, la jeune société Beats Music appelée à « révolutionner » une offre jusqu'ici indifférenciée et peu attractive.

Une course effrénée au nombre d'abonnés...

Pour séduire clients et investisseurs, il est habituel de jeter de gros chiffres aux médias : 30 millions de titres disponibles, 5 millions d'abonnés, une audience globale de 15 millions de visiteurs uniques par mois et... 26 millions d'utilisateurs inscrits.

26 millions +1

Afin de convaincre le plus grand nombre d'internautes de s'abonner aux différentes offres de streaming de Deezer, il faut d'abord les faire venir sur leur site et les convaincre de s'y inscrire.

Une fois cette étape passée, à force d'écoute gratuite qui fait grincer des dents les artistes et les concurrents, 5% de ces utilisateurs basculeront vers une offre payante et débourseront entre 4,99 € et 9,99 € par mois selon la formule retenue.

...avec l'aide complaisante de Facebook

Et quoi de mieux pour atteindre ces objectifs que la viralité d'un Facebook qui est accessoirement une mine de données personnelles et peut se révéler être un incroyable levier (quasi-automatique) en matière de création de comptes et de donc de futurs abonnés ?

Rien de répréhensible jusqu'ici me direz-vous, après tout Facebook n'est-il pas avant tout au service des marques afin que ces dernières y puisent vos données pour s'en alimenter, sans que vous n'en ayez réellement le contrôle ?

Mais que se passerait-il si, en ajoutant l'app Deezer à votre compte Facebook, vous vous retrouviez inscrit d'office sur le site de streaming ? Et que vos données personnelles étaient copiées de Facebook à Deezer ? Vous seriez sans doute un peu moins d'accord, voire totalement opposé à ces méthodes.

C'est pourtant exactement ce que Deezer a fait.

Abonné à Deezer... pour la seconde fois et d'office !

Capture d'écran de l'e-mail d'inscription automatique à Deezer

Le 2 décembre dernier, je reçois en effet un e-mail poussé par Deezer rédigé en anglais me souhaitant la bienvenue sur le site et me livrant mes identifiants.

Cette création repose sur le pseudonyme gvialet, c'est-à-dire l'URL personnalisée de mon compte Facebook. Je n'y prête alors pas vraiment attention, me laissant un peu de temps avant de me pencher sur ce problème.

Un mois plus tard quasiment jour pour jour, un second e-mail toujours en anglais m'invite à souscrire à un abonnement Deezer. L'offre est manifestement poussée non pas par Deezer France mais par sa branche anglaise, nous verrons pourquoi : tous les prix sont indiqués en livre sterling.

50% off: 30m tracks. On your mobile. Limited time offer

Détail de l'offre d'abonnement poussée par Deezer

Je dois donc me résoudre au fait que je me suis bel et bien retrouvé abonné à Deezer, encore faut-il savoir comment ?

Mais les choses prennent alors une autre tournure quand mes amis sur Facebook se mettent les uns après les autres à suivre ce nouvel utilisateur fantôme. En effet, je reçois une notification à chaque connexion d'un de mes (vrais) amis avec ce (faux) compte Deezer.

La viralité de Facebook au service de Deezer

Information sur les données transmises à l'app Deezer sur Facebook

En acceptant d'utiliser Deezer sur Facebook, j'ai implicitement accepté plusieurs choses.

Tout d'abord, que mes données personnelles soient communiquées à Deezer afin qu'elles servent à la création d'un compte utilisateur.

Ayant paramétré mon compte Facebook en anglais, le système en place a bêtement conclu que je devais être intéressé par l'offre anglaise. D'où la communication dans la langue de Shakespeare et la tarification en livres de leur relance et des notifications.

Données personnelles du compte créé par Deezer via Facebook

En me connectant à ce compte qui a donc pris comme identifiant gvialet comme nous l'avons déjà vu, je découvre l'ampleur des dégâts : nom, prénom, date de naissance, adresse e-mail, sexe et langue (le français, allez comprendre) ont été repris, du moins pour la partie visible de cet iceberg numérique.

N'ayant utilisé cette application que très peu de temps, j'ai pu malgré tout réaliser quelques copies d'écran (1) qui ne m'indiquent cependant pas totalement ce à quoi je m'exposais réellement...

Vite ajoutée, vite supprimée, ce qui n'a pas empêché Deezer de créer ce compte via leur app plus rapidement qu'il ne m'a fallu pour la supprimer.

Paramètres de l'application Deezer sur Facebook

La liste de mes amis a très probablement été utilisée car ces derniers, me voyant « arriver » sur Deezer via Facebook, ont eu tôt fait de m'y suivre. D'ailleurs Deezer considère que vous devez suivre les amis qui vous suivent.

Ce compte a donc non seulement des followers, mais aussi des follwing ! L'illusion d'un compte actif est donc totale et ce dernier vient s'ajouter aux 26 millions annoncés par la start-up.

Il ne me reste plus qu'à supprimer ce compte de plus en plus suivi par mes amis. Et ne plus jamais lier Facebook à une application fut-elle plus respectueuse de mes données personnelles ou du droit français.

Mise à jour au 8 février : les équipes de Deezer m'ont confirmé à travers nos échanges sur Twitter que la création silencieuse et sans avertissement autre que la notification d'accès à quelques informations personnelles était le processus normal.

Il n'y a donc pas d'avertissement sur le follow automatique, la publicité faite sur Deezer ou Facebook de la création de ce compte ni sur la création proprement-dite du compte Deezer.

D'après mon interlocuteur, une discussion sera initiée en interne sur ce sujet, en espérant que la start-up tiendra compte de mes remarques et sera plus respectueuse des données personnelles que ses « fans » veulent bien lui confier et surtout sur la finalité de cette collecte.